Résistant allemand et footballeur réfugié à Treillières en 1943 – 1944
Anton Raab est né le 16 juillet 1913 à Francfort-sur-le-Main, 4e enfant d’une famille pauvre. A la sortie de l’école il devient maçon et pratique le football dans l’un des meilleurs clubs de Francfort. A 18 ans il adhère au parti communiste allemand.
Après l’arrivée de Hitler au pouvoir, en janvier 1933, il entre en résistance imprimant et distribuant des tracts hostiles au nouveau régime. Une première arrestation en avril 1933 ne ralentit pas son zèle militant. Il continue à diffuser des journaux et des livres clandestins. Arrêté à nouveau le 3 avril 1935 il est torturé, jugé et condamné le 5 novembre 1935 pour « haute trahison » à 3 ans et 6 mois de prison. Interné dans la forteresse de Kassel il s’en échappe en avril 1937 et gagne le territoire français.
Arrivé à Forbach, sans un sou en poche et ne connaissant pas un mot de français, il va traîner autour du stade de football. Les gendarmes l’interpellent et le relâchent après lui avoir donné l’adresse d’un avocat responsable local de la Ligue des droits de l’homme. Celui-ci lui fournit quelques papiers et un peu d’argent, de quoi prendre le train pour Paris. Pendant cinq jours il erre dans la capitale sans manger. Affaibli par son séjour en forteresse, il a perdu 14 kg, il fait un malaise et se retrouve à l’hôpital. Là un riche malade d’origine suisse, passionné de football, le prend sous sa protection, lui offre gîte et couvert et lui procure une licence pour jouer en France malgré l’opposition de la fédération allemande. Antoine Raab signe au Cercle Athlétique de Paris (le CAP) qui évolue alors en deuxième division française. Lors de son premier match, contre le Red-Star à Saint-Ouen, il est remarqué par le journaliste parisien Jean Eskenazi qui écrit dans sa chronique de Paris-Soir : « Une nouvelle étoile est née au firmament du football parisien ».
Ne voulant pas révéler son engagement communiste, ce qui aurait pu lui fermer des portes, il explique alors son exil par un geste spectaculaire qui deviendra une geste répétée tout au long de sa vie. Capitaine de l’équipe nationale junior qui joue en lever de rideau de la Mannschaft (l’équipe nationale), dans un stade de Stuttgart plein à craquer, au moment du lever des couleurs (le drapeau à croix gammée) il aurait refusé de faire le salut nazi. Ce geste lui aurait valu d’être arrêté plus tard par la Gestapo et emprisonné à la forteresse de Kassel d’où il s’évade de façon rocambolesque. D’autres aspects de sa jeunesse allemande sont aussi réécrits, de quoi séduire ses interlocuteurs et obtenir la protection de l’administration française. Un récit moins clivant dans le contexte de l’époque que celui de la vraie vie pourtant admirable de courage.
En 1938 le CAP fait une tournée dans l’Ouest : Lorient, Saint-Nazaire… Nantes où il est remarqué par le patron du principal club de la ville Joseph Geffroy, président de la Saint-Pierre. Celui-ci lui propose un poste de dessinateur au bureau d’études de l’entreprise de travaux publics Dodin. Antoine Raab devient nantais et l’année suivante la Saint-Pierre accède à la division d’honneur grâce au talent de sa nouvelle recrue. L’homme impressionne par ses qualités athlétiques, l’intelligence de son jeu et ses qualités humaines qui le font apprécier de tous. Des clubs professionnels lui proposent un contrat mais A. Raab a donné sa parole aux dirigeants nantais.
Après la déclaration de guerre (3 septembre 1939) A. Raab est obligé de quitter l’entreprise Dodin qui travaille pour la Défense nationale. Il signe alors au Stade Rennais qui vient d’accéder à la première division. Il n’y reste que très peu de temps car les autorités françaises décident du rassemblement des réfugiés allemands et autrichiens au camp de Meslay-du-Maine en Mayenne. A. Raab est ensuite envoyé à Montluçon, dans une usine d’armement, avec d’autres Allemands. En juin 1940, alors que les armées hitlériennes envahissent la France et approchent de Montluçon A. Raab et ses compagnons vont se réfugier à Cahors où il échappe de peu à l’arrestation.
À la fin de l’année 1940 il revient clandestinement à Nantes rejoindre sa fiancée, Marie Guinel dite Marinette. Pendant trois ans il va rester chez les parents de celle-ci, caché dans le grenier. Sur une machine à écrire il rédige des tracts à l’intention des soldats allemands stationnés dans la ville : « Camarades allemands, rentrez chez vous. Vos maisons brûlent. Vos femmes pleurent. Vos vaches sont mal nourries. Arrêtez le massacre ». Il les signe d’un « Comité Révolutionnaire des soldats allemands » dont il est l’unique membre. Le soir, il va jeter ses tracts par-dessus les murs du grand séminaire où sont logés des troupes d’occupation.
Anton Raab sort aussi de son grenier dans la journée, non sans risque. Il frôle plusieurs fois l’arrestation et doit parfois faire preuve de ses qualités physiques pour échapper aux policiers allemands. Le danger vient également du ciel. En septembre 1943 Nantes est frappé par de terribles bombardements qui obligent une bonne partie de la population à évacuer la ville. A. Raab, Marinette et les parents de celle-ci vont se réfugier à Treillières au village de La Sionnière. Il sympathise avec quelques familles des villages voisins (Jaudinière, Garambeau) et rend de nombreux services : travaux dans les champs, bricolages divers. Il initie les jeunes au football et le soir les retrouve dans les caves pour chanter au son de l’accordéon et refaire le monde autour d’un verre.
En août 1944 A. Raab revient vivre à Nantes. Dans la ville libérée il croise un jour Pierre Lautrey journaliste au Phare de la Loire, devenu La Résistance de l’Ouest, et dirigeant du Football Club de Nantes, créé un an plus tôt, qui le persuade de venir s’entrainer avec l’équipe dirigée par Aimé Nuic. Pour retrouver la forme A. Raab s’oblige tous les soirs à courir de la place Zola, le quartier où il habite, à Basse-Indre et retour en faisant du fractionné. A ce rythme il trouve bientôt sa place au FCN dont il devient, à 31 ans, un élément moteur. A partir de ce moment son histoire se confond avec celle du club : joueur de 1944 à 1946 ; joueur et entraîneur de 1946 à 1949 ; entraîneur en 1955-1956 ; directeur sportif de 1956 à 1961.
Il y a une vie après le foot. Antoine Raab (il a obtenu la nationalité française en 1952) ouvre un magasin de sport, rue Racine à Nantes « Raab sports ». Il y vend ballons, maillots… et des raquettes de tennis. Le tennis, un sport qu’il découvre à l’âge de 48 ans auprès de ses clients. Il prend une licence au SNUC et, pour se mettre à niveau, installe un terrain de tennis dans sa maison de campagne à Oudon. Les progrès sont fulgurants : deux ans après il est dans l’équipe seconde du SNUC et, en 1973, il est finaliste du tournoi international de Roland Garros, dans la catégorie vétérans.
Antoine Raab n’a jamais oublié ses amis de Treillières qui l’ont accueilli pendant l’Occupation. Il vient régulièrement les visiter, paie leurs frais d’hospitalisation quand ils sont démunis, offre des chaussures de football aux jeunes …
Cet amoureux du ballon qui fréquenta jusqu’à la fin de sa vie les tribunes des stades nantais ne se reconnaissait plus dans le football des années 1990 : « On n’a pas le droit de donner autant d’argent aux footballeurs professionnels quand il y a autant de misère. Je ne peux pas être d’accord après l’éducation et les souffrances que j’ai eues ».
Ce grand footballeur, ce grand résistant, ce grand humaniste s’est éteint à Nantes le 12 décembre 2006.
Jean Bourgeon
Sources :
Denis Roux : « Anton Raab, Militant anti-nazi Homme fort du FC Nantes », La Geste 2022
Memoirescanaris (site internet)
Presse-Océan du 15 novembre 2001
Radio France Loire Océan 1995
Témoignages de Marie-Annick Brard-Barreau, Donatien Nozay, Jörg Peter Dück, Gerd Lange.