Comme on peut le lire dans l’ouvrage consacré à l’histoire de la commune de 1800 à 1945 paru en mars 2012, Treillières n’a pas été avare du sang de ses enfants quand il a fallu combattre l’ennemi. Mais, à la différence d’autres communes de France, Treillières n’avait pas avant la Première guerre mondiale de monument gardant la mémoire de ses soldats tombés pour la patrie. C’est en 1913 que pour la première fois on les commémore lors d’une cérémonie officielle.
La fête des vétérans
En 1912, le gouvernement a décidé d’attribuer des médailles commémoratives aux anciens combattants de la guerre de 1870-71. Au moment où, pour l’Eglise, la patrie devient un véritable culte le curé Paquelet se doit de surenchérir sur une République qu’il exècre depuis la loi de Séparation des églises et de l’Etat votée en 1905. En accord avec le maire, Olivier de La Brosse, qui partage son aversion pour le régime républicain, il décide de célébrer à Treillières une « fête des vétérans » où seront mis à l’honneur tous les anciens combattants de la commune et pas seulement ceux de 1870. Il énumère alors dans le Livre de paroisse les conflits auxquels ont participé des Treilliérains encore vivants à l’époque, ce qui nous vaut une vaste rétrospective de combats souvent oubliés aujourd’hui : « Non seulement les vétérans de la guerre de 1870-71 mais encore tous les médaillés des guerres du Second Empire (guerre de Crimée 1854-56, de Chine en 1857-60, de Cochinchine en 1859-62, d’Italie en 1859, du Mexique en 1862) et guerres coloniales qui ont suivi la guerre de Prusse (campagne de Tunisie en 1881, du Dahomey en 1893-94, du Soudan en 1894, du Tonkin, du Cambodge et de Madagascar en 1895, de Chine en 1900, du Sud-Oranais en 1901, du Maroc non encore terminé »
Soldats pendant le siège de Paris en 1870
Il invite aussi à la fête les conscrits des classes 1912 et 1913 qui vont partir dans les mois suivants au service militaire (et, ils ne le savent pas, à la guerre) organisant ainsi un symbolique relais de la flamme patriotique entre anciens et futurs combattants.
Pour donner plus de sens à la cérémonie, il la place sous le signe du sacrifice suprême, celui du Christ qui donne sa vie sur la croix pour sauver les hommes : « La fête fut fixée au dimanche 14 septembre, fête de l’exaltation de la Sainte Croix ».
Le cortège se met en place à 9h45 devant la mairie et se dirige vers l’église « dans l’ordre suivant : un tambour et trois cornets à piston jouant des marches militaire ; le drapeau tricolore porté par Pierre Bernard, de la Gréhandière, médaillé de la guerre de Crimée ; les conscrits de 1912 et de 1913 ; les vétérans ; le maire entouré du Conseil municipal ; Mr le curé assisté de Mr l’abbé Ecomard, vicaire…. Toutes les maisons situées sur le parcours étaient pavoisées comme à la fête de Jeanne d’Arc».
Jeanne d’Arc, héroïne vertueuse célébrée désormais tous les ans dans la paroisse, patronne la cérémonie religieuse qui se déroule dans l’église où le drapeau du Pape et le drapeau tricolore sont unis dans un même faisceau, symbole de la France rêvée du curé : « Des deux côtés du grand autel il y avait les faisceaux de drapeaux, composés de drapeaux du Pape, jaunes et blancs, et de drapeaux tricolores encadrant la bannière de la Bienheureuse Jeanne d’Arc la vaillante guerrière, patronne de l’armée française, qui a bouté les Anglais hors de France au XVe siècle. Un troisième faisceau composé des mêmes drapeaux ornait le frontispice extérieur de la grande porte… Dès que les membres du cortège eurent pris les places qui leur étaient réservées dans le chœur Mr l’abbé Henri David, de La Belle Etoile, qui jouait de l’orgue exécuta la cantate composée par Gounod en l’honneur de la Bienheureuse Jeanne d’Arc ».
A la fin de l’office religieux le curé Paquelet proclame les noms des soldats de Treillières « morts au service de la Patrie » pendant les guerres du Second Empire : guerre de Crimée (2) ; guerres coloniales (2) ; guerre de 1870-71 (23 morts en 6 mois). Pour faire bonne mesure il aurait pu rajouter les 10 « grognards » de la commune tombés sur les champs de bataille napoléoniens entre 1807 et 1815. Après une dernière prière pour les soldats morts on retourne en cortège à la mairie où l’on remet le drapeau à Mr de La Brosse, maire, qui prononce un discours où « il fait acclamer la France et son armée ». Puis « Mme et Melles de La Brosse, femme et filles de Mr le maire, épinglèrent à la boutonnière des membres du cortège une petite croix attachée à un ruban de soie jaune. Les croix avaient été bénites par Mr le curé. On acclama de nouveau la France et l’armée et la foule se dispersa contente de cette manifestation patriotique et religieuse ».
Un an plus tard, jour pour jour 10 jeunes hommes de Treillières étaient déjà tombés « au champ d’honneur » premiers d’une longue liste de 86 victimes dont l’on gravera les noms plus tard sur un monument « aux morts pour la Patrie » où l’on viendra en cortèges pleins de clairons, de drapeaux et d’oraisons ranimer la flamme patriotique d’autres jeunes hommes pour d’autres guerres, d’autres conflits, d’autres victimes.
Le monument aux morts
Pour entretenir le souvenir des soldats « morts pour la Patrie » et pour aider les familles à faire leur deuil, la plupart des communes décident, au lendemain du conflit, d’ériger des monuments.
C’est le 29 février 1920 que le Conseil municipal se penche sur la question pour décider de… ne rien faire « …étant donné qu’une souscription faite actuellement aurait peu de chance de réussir, étant donné d’autre part que le budget communal ne peut fournir la somme nécessaire à l’érection d’un monument… ».
Un an plus tard, le 30 janvier 1921, on décide de réserver dans le cimetière une place pour inhumer les corps des militaires tués à l’ennemi.
Enfin, le 28 mai 1922 le Conseil, espérant l’attribution d’une subvention de l’Etat, décide « … qu’il y a lieu d’ériger au cimetière un monument aux morts pour la patrie ».
Le devis du monument s’élève à 8500 francs et on veut lancer les travaux au plus vite pour l’inaugurer le 1er novembre. Hélas, la Commission départementale des monuments commémoratifs tarde à donner son avis et le Préfet ne donne l’autorisation nécessaire que le 28 novembre ; les « poilus » devront patienter jusqu’au 13 mai 1923 pour recevoir l’hommage officiel de leur commune.
Le monument réalisé par Alexandre Courraud, « entrepreneur de monuments commémoratifs à Orvault » a coûté 9 000 Francs à la commune. 65 noms de soldats morts en 1914 – 18 sont gravés dans le bronze ; on a oublié quelques « poilus ». Un an plus tard on complète le mémorial par deux « Tableaux d’honneur des morts de la Grande Guerre » composés de 60 plaques émaillées à l’effigie des soldats tombés au front.
En érigeant le monument aux morts de la guerre, dans le cimetière, coiffé d’une croix, orné de la couronne des vainqueurs et de la palme des martyrs, pour une inauguration, non pas le 11 novembre anniversaire de l’armistice, mais le jour où à Treillières on célèbre avec faste sainte Jeanne d’Arc récemment canonisée, le Conseil municipal reste dans l’esprit du vœu qu’il a émis au début du conflit, le 13 septembre 1914 où, après avoir salué « notre vaillante armée…et…les héros morts pour la patrie au champ d’honneur », il « suppliait Dieu de bénir leurs généreux efforts et de leur donner la victoire ». On installe aussi deux plaques de marbre « A la glorieuse mémoire des enfants de Treillières morts pour la France » dans l’église. Sur aucun des deux monuments n’apparaissent la République ou l’un de ses symboles. Ici le catholicisme est un élément premier et indiscutable de l’identité : on est catholique et Français. Aussi pour protéger la commune on fait sans doute plus confiance au Sacré-Cœur qu’à l’Etat.
En 1945, on rajoute sur le monument aux morts les noms des 4 soldats de la commune morts pendant le conflit qui s’achève mais on oublie d’y porter ceux de deux résistants nés à Treillières et décédés dans les camps de concentration : Lucien Lecoq mort à Buchenwald le 25 février 1945 et Alfred Cormerais mort à Bergen-Belsen le 6 avril 1945. Cet oubli est réparé le 11 novembre 2013 quand sont inaugurées sur le monument aux morts, grâce à la persévérance de TAFDT, les plaques portant les noms de tous les soldats de la commune tombés dans les conflits du 19e siècle ainsi que ceux des deux résistants déportés.
On trouvera sur le site de TAFDT la longue liste des soldats tombés pour la France tout au long des 19e et 20e siècles afin de permettre aux Treilliérains, en particulier aux écoliers, de parcourir l’histoire de 1800 à 1945 en courant d’un champ de bataille à l’autre et d’inscrire aussi leurs ancêtres dans la littérature: Hugo , Balzac et les guerres napoléoniennes, Maupassant, Zola et la guerre de 1870 (beaucoup de Treilliérains sont morts pendant le siège de Paris) et plus près de nous Patrick Rambaud dont le livre "La bataille" (Prix Goncourt) raconte la bataille d'Esslingen où mourut le Treilliérain Louis Praud (emporté par un boulet)… sans parler de la littérature consacrée aux deux guerre mondiales.
Jean Bourgeon