Ancrée sur les derniers gradins du Massif Armoricain, la commune de Treillières étale ses 2 900 hectares sur 12 kilomètres de long, des portes de Nantes aux landes de Notre-Dame. C'est une terre de contrastes marquée par l'opposition entre les «terres froides» du plateau, et les «terres chaudes» des versants descendant au ruisseau de Gesvres qui la traverse dans toute sa longueur.
LE PAYSAGE
Parcourant le plateau de Tourneuve à Chambouin et de Treillières à La Noë Verte, nous constatons que l'habitat ancien y est peu abondant et dispersé. La densité du réseau routier y est faible. Le paysage agraire (là où il n'a pas été perturbé par l'urbanisme récent) se distingue surtout par la présence exclusive d'un bocage à parcelles géométriques, à mailles larges et à haies vives, cloisonné en quartiers où les herbages prédominent.
Le bocage du plateau entre Muzon et Chavagne en 1955
Ce bocage date essentiellement du 19e siècle. A cette époque on entreprit de vendre aux particuliers les landes considérées jusqu'alors communes. De ce paysage de landes, qui frappa tant les voyageurs du 18e siècle, il ne reste que des traces : ajoncs et genêts abondants dans les haies vives.
Malgré sa mise en valeur tardive, le plateau apparaît comme une zone répulsive. La surélévation du relief, les contraintes climatiques liées à l'exposition aux vents dominants, la médiocrité des sols dits «terres de landes», expliquent cette répulsion. Mais l'inconvénient majeur tient à l'humidité du sol, plus importante ici que sur les reliefs situés immédiatement en contrebas. Elle se manifeste aux saisons humides par des flaques et des zones inondées, et se marque en permanence par des touffes de joncs et des secteurs marécageux.
Quittant le plateau pour se diriger vers les versants descendant au Gesvres, le voyageur, en arrivant là où les deux reliefs s'emboîtent (par exemple à la Ménardais), découvre un paysage nouveau.
L'occupation du sol est à la fois plus dense, plus ancienne, plus diversifiée. Le paysage géométrique du plateau fait place aux bocages à mailles fantaisistes, tantôt serrées, tantôt lâches dans les «gagneries» (enclaves de champs ouverts en pays de bocage). Les villages aux maisons groupées alternent avec les métairies isolées. Le réseau routier est dense. Visiblement les terroirs sont plus attractifs; altitudes inférieures, situations abritées, meilleures conditions d'accès y contribuent. A la monotonie du plateau succèdent des paysages variés dont les nuances tiennent à la juxtaposition de domaines morphologiques divers.
Derrière le Gesvres (rideau d'arbres), sur un replat en pente douce,
le terroir de La Ménardais (2012)
Carte géomorphologique de Treillières
d'après D. Sellier (
Les versants du Pays Nantais)
MORPHOLOGIE DE TREILLIERES
Le rebord méridional du plateau, culminant à 73 mètres dans les granites, comprend des dépressions sommitales, sortes d'alvéoles de dimensions variables et d'encaissement modéré par rapport à la surface culminante: Mauvais-Tour; zone située entre Chambouin et La Bernardais ; espace entre les Dons et le Bois des Zéros; au sud de La Louinière ; à l’ouest de La Cathelinière.
Des buttes bordières, isolées par ces dépressions, surmontent directement le versant à des altitudes voisines de celle de la surface culminante la plus proche: 72 m près de Mauvais-Tour; 64 m près de La Bernardais ; 59 m à La Lœuf.
La route qui va de La Ménardais à La Loeuf souligne le relief de la butte bordière de La Loeuf
Une première rangée de villages et de fermes isolées épouse le rebord méridional du plateau, en avant des buttes bordières.
Le rebord septentrional ne présente pas de dépressions alvéolaires. Il est plus uniforme. C'est là que se sont installés le bourg de Treillières et le village de La Rinçais.
Quittant les rebords du plateau pour descendre vers le Gesvres, nous trouvons une pente, parfois assez prononcée, puis un replat et à nouveau une pente, pour arriver à l'étroite vallée où coule le ruisseau.
La première pente, façonnée dans les granites, est recoupée de vallons courts, étroits, parfois encaissés, qui raccordent les dépressions alvéolaires du rebord aux Gesvres ou à ses affluents. La déclivité du terrain a obligé les villageois à conserver la couverture forestière; un ourlet boisé relie La Bernardais, Garambeau, le Bois des Zéros, La Chédorgère, La Lœuf, La Louinière. Sur le versant septentrional pendant longtemps les bois ont fait place à la vigne.
L'étroit vallon du Verdet (affluent du Gesvres) entre La Ménardais et La Loeuf
Les replats situés à mi-pente des versants varient de 40 m à 50 m. ils allongent vers le Gesvres leurs reliefs qu'accentuent les vallons creusés autour d'eux par les affluents de la rivière. Les replats sont le domaine des gagneries, coupées de quelques parcelles embocagées. Villages et métairies s'y étalent à l'aise: Le Lin, La Jaudinière, Garambeau, La Ménardais, Ortais, La Frosnière, Champeaux, La Guittonais, Les Fosses, La Baclais, Les Haies, La Barre, Fayau.
Les pentes, qui raccordent les replats à la vallée, alternent champs cultivés ou bosquets dans les secteurs les plus inclinés.En contrebas, les herbages et prairies de fauche autrefois entourés de haies vives, occupent le fond inondable de la vallée. Ici peu d'habitat. Les rares exploitations sont associées à un ancien moulin à eau (Launay) ou au château de Gesvres.
La vallée du Gesvres en bas de Fayau (Fayau vient du latin fagus= hêtre)
Cet étagement du relief est le résultat d’une histoire géologique longue et mouvementée que nous allons essayer de résumer en nous inspirant des travaux de l’universitaire nantais Dominique Sellier sur « Les versants du Pays nantais »
La répartition des terroirs dans la vallée du Gesvres d'après D. Sellier
(
Les versants du Pays Nantais ; 1985)
La vallée du Gesvres vue du replat du moulin de Launay (haut) en 2012
LA MISE EN PLACE DU RELIEF
Les structures géologiques du Pays nantais ont longtemps été attribuées à la crise hercynienne (vers la fin de l’ère Primaire : 380 à 280 millions d’années). De récents travaux ont révélé l’existence de structures bien plus anciennes qui correspondent à une crise tectonique précambrienne, antérieure à l’ère Primaire (600 à 550 millions d’années). La crise hercynienne a recoupé ces structures selon une direction Nord-Ouest – Sud-Est.
Les reliefs ainsi élevés, formés de roches résistantes (schistes cristallins ou granites), ont été aussitôt attaqués par l’érosion jusqu’à être pénéplanés. Ce n’est qu’à l’ère Tertiaire (début il y a 65 millions d’années) que les talus qui ordonnent le Pays nantais sont nés, lorsque toute la France a basculé vers l’Atlantique suite à la surrection des Alpes.
Au début de l’ère Tertiaire, la surface du plateau nantais fut creusée d’alvéoles peu profondes dont les directions obéissaient soit aux lignes de contact de roches différentes, soit à des lignes de failles. Une de ces alvéoles se forma à l’emplacement de l’actuel haute vallée du Gesvres (Vigneux à Le Saz). Elle jouera un rôle déterminant sur l’évolution ultérieure du relief en guidant les processus érosifs et l’installation du réseau hydrographique.
Les alvéoles du plateau nantais à l'ère Tertiaire
Au Pliocène (6 à 4 millions d’années) la mer envahit notre région : immersions partielles ou épisodiques, en tout cas limitées dans le temps. Les sables rouges de La Ménardais étudiés en laboratoire se sont révélés être des sédiments marins, vraisemblablement littoraux, ou pour le moins déposés sous une tranche d’eau peu profonde.
Sables rouges dans un talus de La Ménardais
A la fin du Pliocène, une crise tectonique provoquant bombements et cassures du socle, entraina l’installation de l’Erdre et d’un de ses affluents (le futur cours inférieur du Gesvres de La Verrière jusqu’à l’Erdre).
Fin Pliocène: installation de l'Erdre et du cours inférieur du Gesvres
Une nouvelle crise tectonique survint au début du Quaternaire (2,5 millions d’années). Elle provoqua l’exhaussement de la région à l’Ouest et, par un jeu de cassures du socle, entraina le réaménagement du drainage. Le Gesvres s’installa à l’emplacement de l’ancienne alvéole et, s’adaptant aux dernières déformations du socle, coula d’Ouest en Est, à « contre Loire » vers l’Erdre qu’il rejoignait alors au nord de La Chapelle-sur-Erdre.
Début du Quaternaire: le Gesvres coule à "contre Loire"
Après cette crise, au début du Pléistocène, les reliefs exhaussés furent soumis à l’érosion. Sous un climat aride et froid la surface des plateaux fut très altérée. Puis, sous les coups de l’érosion qui s’effectuait à la jonction plateau-alvéole, les matériaux nés de la décomposition de la surface culminante glissèrent progressivement sur les versants, les ennoyant sous une nappe caillouteuse formée essentiellement de galets et de graviers.
Ancienne carrière de graviers à La Bourguillière
Ce que l’érosion postérieure préserva de ces nappes caillouteuses forme aujourd’hui les replats situés à mi-pente des versants. La nappe caillouteuse y atteint encore 2 mètres d’épaisseur à La Rivière, 1 mètre au moulin à vent de Launay, 3 mètres aux Fosses, 5 mètres à La Frosnière, 10 mètres à La Barre.
Il y a un millions d’années le réseau hydrographique se met en place définitivement
Une nouvelle crise tectonique survenant au Pléistocène rehaussa ce relief alourdi et l’exposa aux agressions de l’érosion. Les ruisseaux s’installèrent définitivement, les vallons se creusèrent. Le Gesvres, qui coulait Ouest-Est, fut « capturé » au niveau du Saz par l’affluent de l’Erdre signalé plus haut, de direction N.O – S.E., et prit donc le tracé que nous lui connaissons aujourd’hui.
Tout au long du Quaternaire, et particulièrement lors des périodes glaciaires (1 million d’années à 8000 ans), le Gesvres et ses affluents creusèrent leurs vallées et vallons, divisant la nappe caillouteuse en de multiples replats individualisés. Le ruissellement a sans doute été l’agent érosif le plus actif au Quaternaire récent pour modeler les versants.
Actuellement l’érosion continue mais le climat océanique lui enlève toute ampleur.
Altération du socle, érosion, façonnement des vallons et des versants à l’époque Quaternaire, concourent à donner à notre région un relief jeune, ciselé et découpé dans un matériel fort ancien.
L'étagement du relief, la variété des sols ont été perçus par les hommes dès le début de leur installation. Ils choisirent les versants aux terres légères, sur fonds sableux ou caillouteux, bien égouttées et faciles à travailler.
Jusqu'au 19e siècle ils laissèrent les terres froides des plateaux, lourdes, argileuses, humides, aux friches et à la lande. Ils en firent des communaux, à la fois zones de parcours pour les troupeaux, espaces inhabités et hostiles, mais aussi frontières entre leur communauté et le monde extérieur. Déjà la géographie incitait au repli.
Jean Bourgeon
Au bonheur des géologues ! (carrière à La Bourguillière)