Treillières n’entendit que tardivement siffler le train.
Le 17 août 1851 la première locomotive arrive à la gare de Nantes ; 50 ans plus tard, le 9 août 1901 est inaugurée la gare de Treillières. Mais depuis le début des années 1880 les Treillièrains ont pris l’habitude d’expédier et de recevoir bétail, foin, engrais et marchandises diverses à la gare de Sucé où passe la ligne Nantes-Rennes par Châteaubriant gérée par la Compagnie de l’Etat.
La gare vers 1910
En 1875, le réseau ferroviaire français de grandes lignes est terminé, la récession économique s’est installée, il faut adopter un ambitieux programme de grands travaux pour relancer l’activité. Ce sera le plan Freycinet, du nom du ministre des Travaux Publics (1877 – 1879). Déposé devant le Parlement en 1878 et voté le 17 juillet 1879, il prévoit la construction de 181 nouvelles lignes de chemin de fer. La liaison Beslé – La Chapelle-sur-Erdre via Blain figure au 61e rang des projets. Ce nouveau tronçon permettra de relier Nantes à Renne par une ligne concurrente de celle passant par Châteaubriant.
C’est la Compagnie des Chemins de Fer de l’Ouest qui obtient la concession de la nouvelle ligne le 17 juillet 1883, mais il faudra attendre 18 ans pour voir passer le train à Treillières. Etablir un tracé de voies ferrées c’est réveiller de nombreuses querelles de clocher, heurter des intérêts particuliers, inquiéter le voisinage… Sur la commune de Treillières, 194 parcelles cadastrées sont touchées par « l’expropriation pour cause d’utilité publique ». Si certains propriétaires acceptent les indemnités proposées, d’autres les refusent et le tribunal de première instance de Nantes rend encore des jugements d’expropriation en 1898.
Les récriminations les plus fréquentes émanent à propos de la sécurité des habitants et des troupeaux. La commune obtient qu’un pont à « tablier métallique de 5 m d’ouverture sera établi sur le chemin de grande communication n° 49 (Treillières-Sucé) en remplacement du passage à niveau prévu » (Lettre du Préfet, 10/09/1897). Par contre il fallut attendre 1902, donc un an après la mise en service de la voie ferrée, pour que le Préfet accepte « …la construction d’une maison de garde au passage à niveau du chemin rural n° 12 dit du cimetière ». C’était le troisième passage à niveau gardé de Treillières après ceux de la Belle-Etoile (sur la N 137) et de la gare. Il y avait au total 11 passages à niveau sur la commune, la plupart à l’intersection de chemins vicinaux.
La construction de la voie ferrée se fit en deux temps : le premier tronçon entre Blain et La Chapelle-sur-Erdre (28,6 km) fut mis en service le 19 août 1901. L’inauguration de la gare de Treillières eut lieu le 9 août 1901. Pour recevoir les membres du gouvernement venus pour l’occasion, on dépensa 500 F. dont 160 F. pour la décoration de la gare, 181,60 F. de frais de bouche et 57,40 F pour l’artificier et les illuminations. Le second tronçon entre Blain et Beslé (30,1 km) fut ouvert à la circulation des trains le 1 juillet 1910. D’une longueur totale de 58,7 km, cette ligne à voie unique était fermée au service de nuit. Les gares étaient équipées de voies d’évitement pour les croisements et dépassements. Au Nord, à Beslé, elle se détachait de la ligne Redon-Rennes, puis après avoir traversé la forêt du Gâvre arrivait à Blain. Au Sud, elle se greffait sur la ligne Nantes-Châteaubriant après avoir franchi l’Erdre sur le pont de la Jonelière. A Doulon, les trains bifurquaient vers la gare de Nantes-Etat sur la Prairie au Duc.
Croisement de trains vers 1920 à Treillières
A l’ouverture du premier tronçon, il y avait trois circulations omnibus dans chaque sens de Blain à Nantes. A l’ouverture du second tronçon, le réseau de l’Etat qui avait repris celui de la Compagnie de l’Ouest, mit en service deux express Rennes-Nantes (aller-retour) avec arrêt à Blain, deux omnibus et un train de marchandises Blain-Nantes (aller-retour). Avant même leur mise en service, le Conseil municipal de Treillières émit le vœu que les express s’arrêtent en gare de Treillières celle-ci étant « après celle de Blain la plus importante de la ligne, tant au point de vue voyageurs que marchandises, qu’elle dessert quatre localités, Héric, Grandchamp, Orvault et Treillières. Que dans ces communes il existe de nombreux négociants qui ont des relations commerciales en Bretagne » (25 juillet 1909). Le Conseil municipal appuyait sa demande sur la mise en service par la Compagnie Française des Transports Automobiles d’une ligne Nantes-Rennes (venant remplacer un projet avorté de chemin de fer à voie étroite Nantes-Derval) qui plaçait Treillières au carrefour d’un réseau rail-route prometteur. Mais l’express dédaigna Treillières et ses élus qui avaient rêvé, avant l’heure, de plateforme logistique.
Arrivant tardivement, le chemin de fer n’eût pas ici l’impact économique qu’on lui attribue en d’autres régions de France dans les années 1870-1880. Il vint compléter et amplifier la fonction d’échange des chemins ruraux permettant aux paysans d’importer ou d’expédier plus facilement bétail, fourrage, engrais… et de gagner plus rapidement les foires et marchés locaux. Les paysannes de Treillières prirent l’habitude de monter dans le train pour aller vendre beurre, œufs, volailles sur les marchés nantais. Elles descendaient à la gare de Saint-Joseph-de-Porterie et gagnaient le centre de la ville par le tramway de l’époque.
Le train facilita les démarches de ceux qui devaient se rendre au chef-lieu de canton pour quelque affaire administrative. C’était le cas des écoliers allant passer le certificat d’études primaires à La Chapelle-sur-Erdre. Quelques dimanches, les paroissiens sous la houlette de leur pasteur, embarquèrent au petit matin, cantiques aux lèvres, livres pieux à la main, pour aller pèlerins, passer une sainte journée au Calvaire de Pontchâteau ou à Sainte-Anne d’Auray. La gare fut aussi le quai des adieux pour ceux qui partaient tenter leur chance ailleurs et pour les jeunes appelés au service militaire ou à la guerre.
La guerre de 1914-18 provoqua un ralentissement du trafic ferroviaire. On supprima des trains, du personnel, la ligne ne fut plus entretenue, ce qui ne manqua pas de poser des problèmes quand l’activité économique reprit une fois la paix revenue : vitesse réduite, trains surchargés, incidents fréquents…..
De 1929 à 1931, on refit entièrement la voie ferrée entre la Chapelle-sur-Erdre et Beslé afin d’y faire passer des locomotives plus puissantes tirant des trains plus longs et plus lourds : des « express ». Trois furent mis en service : Rennes – Bordeaux ; Saint-Malo – Bordeaux – Hendaye ; Dieppe – Irun. Ils portaient des noms prestigieux qui devaient faire rêver bien des Treilliérains quand ils traversaient (sans s’y arrêter) le petit bourg dans un grondement ferraillant qui traînait derrière lui une odeur de graisse, de fumée, de vapeur, de mer et de montagne : Manche-Océan ; Côte d’Emeraude – Pyrénées.
Les express reliaient Nantes à Rennes en 1 h 46 et il fallait 32 minutes pour aller en omnibus de Treillières à Nantes si l’on en croit l’indicateur Chaix de 1936 qui signale le passage de 10 trains chaque jour en gare de Treillières. Ce trafic n’était pas sans poser quelques problèmes de cohabitation avec les automobiles de plus en plus nombreuses qui fréquentaient la route nationale 137. Au passage à niveau de la Belle-Etoile quelques conducteurs étourdis ou trop pressés enfoncèrent les barrières abaissées pour le passage du train. A chaque fois le garde-barrière, Maxime Divet, récupérait un bout de la barrière endommagée qu’il transformait en jardinière. Il obtint une récompense au titre des passages à niveau les mieux fleuris.
Le passage à niveau de La Belle-Etoile vers 1930
Inscrite dans le paysage local, la voie ferrée avec sa gare, ses maisonnettes de garde-barrière fleuries, était aussi un acteur économique important pour le développement des campagnes. En 1933, 242 508 voyageurs et 290 079 tonnes de marchandises empruntèrent la ligne Beslé-La Chapelle-sur-Erdre. La gare de Treillières vit transiter cette année là 5475 voyageurs (et 2 chiens), c’est peu mais l’essentiel de son activité était ailleurs. En dehors des colis postaux (482) et des denrées diverses transportées de foires en marchés (94 tonnes) la gare fut un poumon pour l’agriculture de Treillières et des communes voisines qu’elle desservait. Quai d’expédition pour les bovins (1352 expédiés ; 34 importés) elle était aussi une plateforme de déchargement pour 1349 tonnes de marchandises (contre 470 t. expédiées) au premier rang desquelles on trouve les engrais (520 tonnes importées), les céréales (466 t. importées ; 78 t. exportées) la paille et le foin (133 t. importées). On relève aussi des arrivées de charbon (35 tonnes), de matériaux de construction (25 tonnes), de produits chimiques (16 t.), de boissons (4 t.), de pommes…
En 1934, l’Etat reprit la Compagnie d’Orléans propriétaire de la desserte Nantes -Rennes par Redon. Il décida d’une réorganisation du réseau. Des « comptages-voyageurs » révélant des taux de remplissage très faibles des omnibus on envisagea de les supprimer. La municipalité de Treillières alertée protesta à plusieurs reprises à partir de juin 1936 contre la fermeture annoncée. En vain ! Le 9 janvier 1939 le service omnibus fut supprimé.
Entre des quais peu à peu frappés de torpeur, les express continuèrent à passer… sans s’arrêter. Seul le trafic marchandises avec ses wagons de bestiaux, de paille, d’engrais… destinés aux fermes des environs maintint la vie dans une gare en sursis.
Après une remise en service temporaire en 1943 pour permettre aux Nantais réfugiés dans les communes rurales d’aller travailler en ville le jour, la ligne fut définitivement supprimée le 18 mai 1952. Aujourd'hui, certains envisagent de la réhabiliter dans le cadre d'une liaison ferroviaire entre Nantes et le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes.
La gare aujourd'hui; l'ancienne voie ferrée est devenue chemin de randonnée.
Jean Bourgeon