Jeudi 15 juin 1944
La bataille fait rage depuis près de 10 jours en Normandie. Anglais et Américains mobilisent leur aviation pour empêcher les renforts nazis de monter vers le front du Débarquement. Près de 130 avions B17 (1) déverseront encore leurs bombes sur Nantes, ce jour-là… Les ponts de chemin de fer et la gare d’Orléans sont visés. La place Saint-Pierre et la préfecture sont également bombardées. À 8 000 m d’altitude, difficile de toucher les objectifs avec précision…
Il est un peu plus de 8 h quand « la forteresse volante » (c’est ainsi qu’on appelait les bombardiers B17G construits par Boeing) n° 42-107212 est atteinte par l’artillerie anti-aérienne (la « flak » : Flugzeug Abwehr Kanone) de l’occupant. Trois de ses quatre moteurs sont hors d’usage. Le B17G perd de l’attitude et va s’écraser…
La carcasse du B17G « treilliérain » gisant à terre (anonyme)
Ce jeudi matin, un office religieux se tient dans l’église de Treillières. À quelques hectomètres de là, le bombardier vient de s’écraser en contrebas du château du Haut-Gesvres (la Rivière), près du ruisseau, dans un fracas assourdissant.
« Nous l’avons vu arriver, frôlant les toits », se souvient Galliane Sebert-Albertini, fille d’Etienne Sebert, alors maire de Treillières et propriétaire dudit château. L’avion a glissé sur la prairie. Une aile s’est détachée, tuant une vache au passage. L’épave est stoppée par une haie de chênes . Un des moteurs continuent sa lancée sur 80 à 100 m. Des alentours des témoins du « crash » accourent sur les lieux présumés. Deux jeunes Nantais, André et Jacques Malvaux enfourchent leur bicyclette et prennent la direction de Treillières. Tout ce petit monde sera dissuadé d’approcher. L’armée d’occupation en interdit déjà le périmètre, dispersant les curieux à coups de rafales de mitraillettes tirés en l’air !
« 306th BG »…
Témoin privilégié, André Malvaux, ancien journaliste de télévision, aujourd’hui décédé, s’est attaché à reconstituer avec minutie l’histoire de l’avion et de son équipage. Il m’a confié ses notes glanées auprès des archives allemandes, anglaises et américaines. Ce B17G faisait partie du 306th BG (Bomb Group) dont la base se trouvait à Thurleigh, au nord de Londres. Il y avait décollé vers 5 h et participait à une mission sur Nantes dans le cadre d’un raid constitué de 47 autres forteresses.
L’objectif assigné au raid est de détruire deux ponts qui permettent à la voie ferrée de franchir la Loire entre le quartier de Malakoff et Saint-Sébastien. Vers 8 h 05, les 48 avions lâcheront 286 bombes d’un poids d’environ 250 kg chacune…
L’équipage du B17G n° 42-107212 est constitué de 9 hommes, tous citoyens des Etats-Unis d’Amérique : le lieutenant navigateur William D. Allen, le lieutenant pilote Wilbur B. O’Brien, le lieutenant co-pilote Georges C. Price, le lieutenant bombardier William B. Uhlhorn, le « technical sergent » (TS) mécanicien Richard F. Boozern, le TS radio Odis G. Pearson, le sergent mitrailleur de tour David S. Gibson, le sergent mitrailleur latéral John S. Sutton et le sergent mitrailleur de queue Arne G. Ziem.
Un mort, six prisonniers et deux… échappés
Sitôt ses bombes larguées, le bombardier des neuf hommes est atteint par la défense anti-aérienne de l’occupant. Un moteur est en feu, deux autres sont mal en point. Le sort de l’appareil est jeté. Le pilote O’Brien donne l’ordre à son équipage de sauter en parachute et règle le pilotage automatique vers un lieu moins urbanisé…
Tous les hommes sautent. Le vent les porte vers le sud-Loire. Le navigateur Allen tombe au village du Bignon en Brains et est tué par un soldat allemand à son atterrissage. Son décès est déclaré en mairie de Saint-Herblain le 16 juin par un sous-officier de la Kommandantur locale. Son corps sera inhumé au cimetière du bourg, puis rapatrié en mars 1945 aux Etats-Unis.
Le mitrailleur Sutton tombe aussi à Brains. Blessé, il est fait prisonnier. Capturés après avoir touché terre, cinq autres de ses camarades subissent le même sort : Price, Uhlorn, Boozern, Paerson et Gibson. Deux membres de l’équipage ont réussi à échapper aux Allemands : le pilote O’Brien et le mitrailleur Ziem. Récupérés par des résistants du sud-Loire (Le Pellerin), ils sont cachés dans une île de Loire en face de Cordemais. Quelques jours plus tard, les résistants leur font traverser le fleuve et rejoindre le maquis de Saffré.
Les 28 et 29 juin, lors de l’attaque du maquis par l’armée d’occupation, O’Brien est fait prisonnier et transféré après interrogatoire dans un « Oflag » allemand. Ziem réussit lui à s’échapper indemne du maquis avec un sergent anglais. La résistance le reprend en charge. Et, clin d’œil de l’Histoire, en août 1944, Ziem réussira à rejoindre l’armée de Libération, venant de Rennes et se dirigeant vers Nantes,… à Treillières !
Epave dépecée
Madeleine Giraudeau (à droite) pose dans la carcasse dépecée du B17, quelques semaines après le crash. La famille Giraudeau habitait alors au Pont-des-Marais. Michel, le frère de Madeleine, épousa après la guerre une jeune résistante de Treillières, fille du chef de gare, déportée à Ravensbrück, Gisèle Fraud
(photo de la famille Giraudeau).
Et pendant ce temps-là, qu’est devenue l’épave de l’avion tombé à Treillières ? Elle est restée plusieurs mois sur place. L’occupant récupéra rapidement ce qui l’intéressait et prioritairement l’armement. La surveillance retombée, l’épave fut allègrement dépecée par la population locale. Le carburant fit le bonheur de quelques intrépides… Des éléments métalliques auraient servi à recouvrir des hangars. Rares furent (et sont encore) les témoins qui accept(èr)ent de parler de ces larcins. Un curieux sentiment de culpabilité ! Les langues ne se sont déliées que depuis une quinzaine d’années. Comme en témoigne une des rares photos retrouvées, on vint un temps se faire photographier dans la carcasse abandonnée. Le reste de l’épave aurait été finalement enlevé par un ferrailleur de Nort-sur-Erdre.
La carcasse du B17G (photo Le Chevalier)
À ce jour, les personnes qui se sont attachées à retracer l’histoire de ce crash n’ont réussi à contacter aucun des rescapés de l’équipage ni leurs familles.
Loïc BONNET
(1) Construit par Boeing, mais aussi sous licence par Lockeed et Douglas, le B17 fut un des appareils américains les plus célèbres de la Seconde Guerre Mondiale. La firme Boeing en fabriqua à elle seule 12 725 ! Long de 23 m et d’une envergure de 32 m, cet avion était propulsé par quatre moteurs Wright de 1 200 cv. Il pouvait atteindre une vitesse de 500 km/h et possédait un rayon d’action d’environ 3 200 km (variable suivant la charge embarquée). Il volait à une altitude de 6 000 à 8 000 mètres d’altitude pour éviter les tirs de la défense anti-aérienne. La version B17 G était armée de 12 mitrailleuses de 50 (12,7 m/m) et pouvait transporter 2 à 7 tonnes de bombes.
Sources :
– Notes manuscrites d’André Malvaux.
– Bulletin de l’association « Autrefois Le Pellerin » (édition Hélio-Nantes, octobre 2000).
– « Lieux de souvenir… Mémoires de Soldats » édité par le Comité cantonal du Souvenir Français de La Chapelle-sur-Erdre (2003) .
– « Treillières, un village au Pays nantais », Jean Bourgeon (éditions Coiffard, mars 2012).